Au moins 10 000 personnes ont manifesté à Lille, le 28 septembre.

Reportage29 septembre 2022

Article de Noel BOUTIER – Source MEDIA SOCIAL

Au moins 10 000 personnes ont manifesté à Lille, le 28 septembre. D’autres événements ont eu lieu partout en France (manifs, opérations escargot, conférences de presse…). – © Noël Bouttier

Les Hauts-de-France se mobilisent pour les “abandonnés du Ségur”

Le 28 septembre était une journée de mobilisation, dans toute la France, pour dénoncer la crise des métiers du social. La manifestation de Lille a été l’une des plus suivies, avec plus de 10 000 personnes. La colère, l’exaspération et l’inquiétude ont marqué ce rassemblement. Reportage dans le cortège.

14 heures, le 28 septembre. Depuis les gares de Lille Europe et Lille Flandres, des cohortes de manifestants se pressent pour rejoindre le cortège qui doit prendre son envol à partir de l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France.

Sur des affiches au design bien soigné, on peut lire « Cherche salaire décent pour l’auxiliaire de vie » ou bien « Cherche plus de moyens pour l’intervenant.e social.e ». Dans l’air, un grand ballon blanc « Crise des métiers de l’humain ». Miracle, il ne pleut pas. 

La provocation du ministre

Les manifestants, en tête de cortège, portent une banderole sur la crise des métiers de l’humain. Noël Bouttier

En tête de cortège, la douzaine d’organisations appelant à la manif se rassemblent autour de la banderole commune. Président de l’Uriopss Hauts-de-France, Dominique Demory énumère la liste des griefs contre le gouvernement, entre une prime « Ségur » qui ne touche pas tout le monde, une extension à d’autres professions – via le « Laforcade » – qui oublie encore trop de personnes. Et des conseils départementaux qui ne répondent pas aux demandes de prise en charge de la revalorisation.

Goutte d’eau dans cette coupe déjà pleine : la déclaration récente du ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, demandant aux employeurs de « prendre leurs responsabilités » par rapport aux exclus du Ségur. Le président de l’Uriopss annonce la couleur. « On va faire du bruit ». La promesse sera tenue.

« Monter les uns contre les autres »

Le cortège s’ébranle sur plusieurs centaines de mètres. Les organisateurs évoquent le chiffre de 11 000 personnes. En novembre dernier, une mobilisation régionale sur les mêmes mots d’ordre avait rassemblé 8 000 manifestants. Ce 28 septembre, toutes les catégories sont rassemblées : équipes dirigeantes des associations, salariés bénéficiaires ou pas du Ségur, personnes handicapées, etc. 

Daniel, qui travaille pour l’Adapei du Nord, dénonce le « sentiment d’injustice » qui règne dans sa structure, ainsi que les nombreuses démissions des derniers mois. Plus loin, Émilie, cadre dans un chantier d’insertion, ne comprend pas pourquoi un encadrant technique n’a pas le droit à la prime alors que le même poste dans un Esat en bénéficie. « Le jeu du Ségur, c’est de monter les uns contre les autres », s’exclame-t-elle.

Un tiers de salariés sans prime

Cécile, Anne et Arnaud, trois collègues des Papillons blancs de Lille. N. Bouttier

Les sifflets s’en donnent à cœur joie, des centaines de petits drapeaux au nom des structures. L’heure est à l’urgence sociale. Sur un trottoir, nous abordons trois collègues, Cécile, Anne et Arnaud, travaillant pour les Papillons blancs (handicap mental) de Lille. Selon eux, 30 % de salariés de cette structure ne bénéficient pas de la hausse salariale. La psychologue Cécile qui intervient dans quatre structures, souligne, elle aussi, les difficultés à recruter. Et la charge de travail s’est accrue. Là où il y avait, voici dix ans, 150 personnes handicapées à accompagner, elles sont désormais 180 avec le même effectif. 

« On n’attend plus rien » 

Anne a fait le choix, voici quelques années, de quitter un poste dans la communication pour devenir monitrice-éducatrice. « J’ai divisé mon salaire par trois, confie-t-elle. C’est un choix de vie liée à une conviction forte. Mais que ferais-je si je devais payer les études supérieures de ma fille. Est-ce que je resterai dans le secteur ? », s’interroge-t-elle. Son autre collègue, Arnaud, ajoute : « Y’a eu les Gilets jaunes, tous les corps de métier se sont mobilisés. Les prix augmentent, les salaires restent stables. J’ai le sentiment qu’on n’attend plus rien. »

Se mobiliser avec les syndicats ? 

Dans la manifestation, plusieurs voix se font entendre pour une mobilisation commune des syndicats et des organisations d’employeurs. Dans le cortège, quelques chasubles ou drapeaux de la CFDT, de la CGT, de la CFTC ou de l’Unsa. Ce sont souvent des syndicats locaux qui ont pris des initiatives indépendamment de leur centrale. Pour Éric (CFDT), « on serait plus efficace, si on était tous ensemble. » 

Stéphanie, quant à elle, travaille pour l’APF de Saint-Quentin (Aisne) et milite à la CGT. « Sur les 75 salariés de ma structure, 25 à 30 n’ont pas eu la prime. Il manque un cuisinier, des agents hôteliers. Nous recevons nos fiches de paie avec retard, car il n’y a plus de comptable. »

Vice-président de la fédération CFTC santé-sociaux, le Nordiste Ali Laazaoui marche également ce 28 septembre. « Nous partageons les revendications du collectif, donc nous avons appelé à y participer », explique-t-il.

« Que fera-t-on si nous partons ? » 

Ces salariées des PEP 62 se considèrent comme des « abandonnés du Ségur »  N. Bouttier

Ne les appelez plus les oubliés du Ségur… Appelez-les « les abandonnés ». Elles portent ce panneau dans le dos. Salariées des PEP du Pas-de-Calais, elles sont secrétaire médicale ou assistantes administratives. « Nous n’avons rien, alors qu’à l’hôpital, ces mêmes catégories de personnels en bénéficient. Que fera-t-on si nous partons ? », interrogent-elles. 

« C’est anxiogène » 

Secrétaire de direction, depuis 33 ans, pour l’Apei du Valenciennois, une délégation très représentée, Catherine ne dit pas autre chose. « Nous avons un sentiment d’injustice. Moi, je vais rester car je suis proche de la retraite, mais les jeunes partiront peut-être. » Marjorie raconte que dans la maison d’enfants, où elle travaille, elle consacre 80 % de son temps à accompagner des enfants. Et pourtant, considérée comme agent d’entretien, elle ne bénéficie pas de la revalorisation. « C’est anxiogène », dit-elle.

« Restons fier.es de bien faire »

16h30. La manifestation est maintenant arrivée place de la République. À la tribune, les discours se succèdent. On croise Antoine, directeur dans le Valenciennois d’une structure gérant des mesures de protection. Il évoque des personnes qui partent en Belgique où elles sont mieux payées. Des jeunes salariés qui dorment dans leur voiture. Et d’un travail de plus en plus compliqué en raison des restrictions de postes dans les services publics. Et puis, il donne ces chiffres éclairants. « Il y a trente ans, quand j’ai commencé, un éducateur spécialisé gagnait 1,8 Smic. Maintenant, c’est 1,2. » Sur la place, cette pancarte « Restons fier.es de bien faire. »    

Ce qui fait tenir beaucoup de salariés, c’est la fierté de leur métier. N. Bouttier

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